Frank Dausy: Vivre plus longtemps, un risque calculé

Frank DausyDirecteur général de l'Institut des Actuaires en Belgique

“Vivre plus longtemps, un risque calculé”

Une compagnie d'assurance(-vie) calcule les risques et les assure à long terme. Or ce long terme s'étire de plus en plus, au fur et à mesure que notre espérance de vie augmente. Nous vivons plus longtemps, mais quelles en sont les conséquences ? Frank Dausy, directeur général de l'Institut des Actuaires en Belgique (IA|BE), aborde ce que les assureurs peuvent nous apprendre sur ces années supplémentaires.

Frank Dausy: "Le fait que nous vivons en moyenne plus longtemps préoccupe beaucoup de gens, non seulement dans le monde médical, mais on y réfléchit et on l'étudie aussi à travers toute la société, y compris dans le secteur financier et celui des assurances, car c'est nécessaire. Prenons par exemple la question de l'âge de la retraite. Au 19e siècle, l'Allemagne servait d'exemple après avoir fixé l'âge de départ à la retraite à 40 ans de carrière pour les fonctionnaires. En 1889, lorsque ce système a été élargi au secteur privé (le ministre-président Otto von Bismarck était alors lui-même âgé de 74 ans), l'âge de la retraite pour ce groupe a été fixé à 70 ans. Croyez-moi, le nombre de personnes pouvant profiter de cette retraite était très restreint : ceux qui sont nés en 1889 ont rarement dépassé l'âge de 40 ans environ."

"Aujourd'hui, la situation est tout autre : notre espérance de vie a connu une hausse spectaculaire, ayant même plus que doublé, et ce, grâce à de meilleures conditions médicales, un mode de vie plus sain et une meilleure sécurité sociale."

“Sous Bismarck, l'âge de la retraite en Allemagne était fixé à 70 ans. En moyenne, les gens de l'époque dépassaient rarement l'âge de 40 ans.”

Une hausse continue mais un peu plus lente pour l'avenir

Frank Dausy: "L'origine du métier d'actuaire renvoie à l'estimation de la mortalité de la population. Les actuaires travaillent avec des tables de mortalité qui leur permettent de développer des produits d'assurance pour certains segments de clients.”

“Nous publions de nouvelles tables de mortalité IA|BE tous les cinq ans. Nous venons de publier les résultats de notre nouvelle édition et on constate une légère stabilisation de l'espérance de vie attendue. À cet égard, la Belgique ne se comporte d'ailleurs pas vraiment différemment de ses pays voisins.”

L'impact du Covid-19

Frank Dausy: "Nous nous interrogeons également sur l'impact qu'aura le Covid-19 sur notre mortalité. On ne s'attend pas immédiatement à de nombreuses conséquences négatives de la surmortalité se manifestant surtout chez les personnes âgées ou celles souffrant déjà d'une autre maladie, mais nous ne le savons pas encore. Il se pourrait que la santé de ceux qui se sont remis du Covid-19 soit tout de même affectée à plus long terme et que nous n'en remarquions l'impact que plus tard. Tout comme il se pourrait qu'il y ait une augmentation des naissances suite au confinement prolongé. Le temps et les chiffres nous le diront.”

"Qu'est-ce qui permet alors de prédire l'âge moyen que l'on peut atteindre ? « Pendant des siècles, la réalité historique était que près d'un quart des enfants mouraient avant leur premier anniversaire. Ce chiffre passait à 50 % avant qu'ils ne deviennent adultes et qu'ils aient eux-mêmes des enfants, avant l'âge de procréer donc. Sachant cela, il n'est pas étonnant que l'espérance de vie moyenne était encore de 35 ans aux alentours de 1800. ”

De plus grandes chances de survie

“Le développement d'un vaccin contre la variole (le mot vaccin vient du mot vaccine, lui-même dérivé du latin vacca qui signifie vache) a par exemple eu un impact positif majeur sur nos chances de survie. De nos jours, nous vivons dans une société dominée par le secteur des services, avec des horaires de travail réduits, des vacances et d'excellents soins de santé accessibles, et cela change beaucoup de choses. Puis-je me prendre comme exemple ? J'ai actuellement 56 ans. Je suis né pratiquement dans la dernière année du baby-boom d'après-guerre, en 1964. 21 % des hommes de ma génération souffrent déjà de problèmes de vue, 28 % de problèmes d'audition et 17 % ont du mal à marcher.”

“Ne vous laissez pas aveugler par les chiffres, mais cherchez toujours l'histoire qu'ils cachent, et surtout, restez actifs ! ”

“Si je devais mourir cette année, il y a environ 40 % de probabilité que ce soit d'un cancer et 20 % d'un arrêt cardiaque. Celle que je meure d'une maladie du foie ou que je mette fin à mes jours est d'environ 5 %. Un chiffre encore plus faible pour un accident vasculaire cérébral. Fort heureusement, la probabilité que je puisse fêter mon 57e anniversaire, selon les tables de mortalité prévisionnelles de mon institut, est encore de 99,5 %. Prenons une femme de 56 ans : la probabilité qu'elle fête ses 57 ans est de 99,6 %, soit 0,1 % plus élevée que ses homologues masculins.”

“Le Bureau fédéral du Plan publie nombre d'informations intéressantes à propos de la mortalité et réalise des projections jusqu'en 2070. Il a déterminé qu'en 1991, sur cinq personnes en âge d'être actives, une seule avait 67 ans ou plus. Aujourd'hui, ce chiffre de 5 avoisine plutôt 3,5 et on prévoit qu'il sera de 2,5 d'ici 2050 : c'est ce qu'on appelle le vieillissement. Mais le Bureau fédéral du Plan a vu les choses un peu différemment et a constaté que le rapport entre les gens qui ont encore 18 ans à vivre et le groupe inférieur reste pratiquement stable, aux alentours de 17 à 18 %. Cela constitue peut-être le défi que doivent relever les actuaires : ne pas se laisser aveugler par les chiffres, mais continuer à chercher l'histoire qu'ils cachent, et surtout, rester actifs.”

“Si vous voulez planifier, financièrement parlant, toutes les phases de votre vie de manière confortable, vous voulez alors savoir quel âge vous atteindrez.”

Des projets... pour profiter de la vie

Mais voulons-nous vraiment savoir quel âge nous allons avoir ? « Oui, de préférence, du moins si vous voulez planifier, financièrement parlant, toutes les phases de votre vie aussi confortablement que possible afin de profiter de la vie. La mortalité (je préfère parler de risque de longévité) exerce une forte domination sur une grande partie du discours dans le monde financier. Une personne contractant un prêt hypothécaire auprès d'une banque à l'âge de 25 ans présente pour la banque un risque différent de celui d'une personne de 45 ans. Le mot clé de l'analyse est le risque, et l'impact si ce risque devient une réalité. Nous sommes tous mortels et serons aisément tous octogénaires, en moyenne. Mais sous ces chiffres se cache une réalité très diverse qui fascine les actuaires. Ces derniers essaient d'estimer à quoi pourrait ressembler l'avenir et quelles pourraient en être les conséquences.” 

“Est-ce que vivre plus longtemps est réservé aux privilégiés ? Ce n'est pas ce que nous voulons, n'est-ce pas?”

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