Saphia Wesphael: une vie plus longue , c’est le bonheur?

Saphia Wesphael
Philosophe

“Être vieux n’a rien à voir avec les époques, les sphères de temporalité ou l’évolution de l’histoire”

L’allongement de la durée de vie questionne quant à notre considération d’une existence pleine et diverse. Qu’est-ce que le bonheur? Pourquoi la mort est-elle un sujet si tabou? Qu’est-ce qu’être vieux en 2021? Du haut de ses 27 ans, la jeune philosophe Saphia Wesphael apporte des éléments de réponse d’une impressionnante maturité.

L’évolution est en marche : oui, nous vivons en moyenne plus longtemps. Les progrès scientifiques, technologiques et sociétaux n’en finissent pas de repousser les limites de notre finitude. Mais une vie plus longue rime-t-elle obligatoirement avec bonheur? Il fallait bien l’avis d’une philosophe pas même trentenaire pour y voir plus clair. "Avant même de parler d’allongement de la vie, il faut pouvoir appréhender la définition du bonheur. Se définit-il d’un point-de-vue quantitatif ou qualitatif? Par sa nature ou sa temporalité? Il me paraît important de pointer la façon dont on s’inscrit dans cette temporalité, que celle-ci soit courte ou longue. Mais l’aspiration à l’allongement de la durée de vie est symptomatique de la nature d’une société, à savoir qu’il s’agit d’une société tendant à faire en sorte que l’existence de chaque individu soit pérenne. Et par conséquent, que chaque individu puisse davantage tendre au bonheur. Il y a autant de définitions du bonheur que d’individus. Certains considèrent qu’une vie plus longue serait plus heureuse car permettant un déploiement de soi, une réalisation. D’autres verront une vie longue comme un bénéfice secondaire."

“On vit dans une société d’illusion, avec l’aspiration inconsciente à l’immortalité et en s’inscrivant dans une notion d’immédiateté”

Pour en finir avec LE tabou

La société regorge de paradoxes. Dont celui du désir de vivre plus vieux tout en ne considérant pas suffisamment la personne âgée. "On vit dans une société d’illusion, avec l’aspiration inconsciente à l’immortalité et en s’inscrivant dans une notion d’immédiateté qui engendre un certain rejet des personnes âgées symbolisant justement notre non-immortalité. Une personne jeune incarne une potentialité, la personne âgée marque notre finitude. Au lieu de considérer ces personnes comme des modèles de réalisation, de sagesse et d’expérience de la vie, on les considère comme le symbole de notre peur de la mort. Au lieu d’être des points de repère, elles deviennent des êtres lésés et c’est regrettable. Il existe en effet un tabou par rapport à la mort et à la finitude de l’homme, ce qui n’était pas le cas dans les générations précédentes. Avant, la mort était considérée comme un aboutissement et une étape, avec l’espoir d’une réalisation d’ordre spirituel. Nous sommes des êtres qui, parfois, avons besoin de l’illusion de l’immortalité, et c’est en cela que le mot est devenu tabou, mais qui avons aussi besoin de donner un sens à notre existence. C’est cette dialectique qui fait la nature humaine."

Une absurdité essentielle

La quête idéale ne serait-elle pas de vieillir mieux plutôt que de vieillir plus longtemps? À chacun de trouver ses propres sources d’épanouissement. "Si on s’extrait de ces considérations d’instantanéité du type : Que vais-je faire aujourd’hui? Ou demain? Comment décorer ma maison? - des considérations qui font d’ailleurs le sens de l’existence – on réfléchit autrement. Et quand on pense vraiment au sens profond de la vie, on en identifie l’absurdité puisqu’on vient au monde pour le quitter. On construit, on se réalise et puis on s’en va. La vie c’est l’absurde. Et la quête du bonheur est d’œuvrer contre cette absurdité, de réinsuffler du sens à la vie. On ne peut le faire que par des tentatives qui nous sont propres et singulières et qui relèvent de notre imaginaire. Mais nous pouvons aussi le faire d’un point-de-vue collectif. C’est ce mouvement de va-et-vient entre le "soi" et le "nous" qui permet, probablement, de s’approcher de quelque chose pouvant ressembler au bonheur. Cet imaginaire est aussi inondé par l’amour à l’égard des siens, d’idéaux…"

“La vie c’est l’absurde. Et la quête du bonheur est d’œuvrer contre cette absurdité, de réinsuffler du sens à la vie”

Une vie accomplie

C’est quoi être vieux aujourd’hui? Avoir 50 ans, 65 ou 80? Une définition qui ne cesse d’évoluer au fil… des ans. "Je me rends compte qu’il y a plusieurs formes d’aujourd’hui. Celui de la contemporanéité, de 2021, du 21e siècle. Et puis les aujourd’hui de la vie d’un individu. Ce sont ceux-là qui déterminent la définition d’un être âgé ou pas. Quand j’étais enfant, me semblait âgé quelqu’un de 50 ou 60 ans. Aujourd’hui, j’ai 27 ans et mon père en a 62 mais je le trouve extrêmement jeune, il ne me paraît pas vieux du tout ! Je me rappelle une conversation, il y a des années, j’étais ado. Je me trouvais à un arrêt de bus en compagnie d’une dame d’environ 80 ans qui m’a dit "Enfant, quand on me parlait des gens de 40 ans, je pensais que c’était vieux. Et aujourd’hui, j’ai le double de cet âge, je suis encore là et j’aime toujours la vie". Il y avait une vérité dans son analyse. Être vieux n’a rien à voir avec les époques, les sphères de temporalité ou l’évolution de l’histoire. Ça a à voir avec le parcours d’une vie. Je pense que si on atteint un âge où on considère qu’on a eu une vie de réalisation, d’accomplissement et de bonheur tel qu’on se sent prêt, alors peut-être est-on vieux. Tel est peut-être un idéal d’existence, celui de considérer qu’est âgé celui qui est prêt à partir."

“Est-ce que vivre plus longtemps est réservé aux privilégiés ? Ce n'est pas ce que nous voulons, n'est-ce pas?”

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“Nous avons le devoir moral de délivrer des thérapies pour un meilleur vieillissement”

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